le pot-au-feu de nanou...
“Patate échaudée craint l’huile de friture...” (Proverbes apocryphes) Domrod m’a refilé sa patate chaude et, n’écoutant en cela que mon bon fond ignifugé, je l’ai rattrapée en vol avec une aisance que dément habituellement mon physique au centre de gravité contrarié. Or donc, il s’agit de parler de cinq aliments, plats ou autres, qui ont fait partie de mon enfance, et qui me manquent, parfois, quand la nostalgie me prend... On est pas rendu les gars, laissez moi vous le dire ! Chapitre 1 : le pot-au-feu de Nanou Enfant, j’allais régulièrement avec mes sœurs, mon frère et ma mère chez Nanou. Nanou était mon arrière-grand-tante et s’appelait en fait Jeanne. Elle était née en 1900 et avait connu deux guerres mondiales, des crues de la Garonne inondant sa cave et le décès de son époux. ce dernier nous était malgré tout familier car elle embrassait son portrait (un moustachu sérieux mais portant bien) chaque soir avant d’aller se |
coucher. Et puis j’avais très tôt appris que, selon son hagiographie, il était mort le lendemain de ma naissance, renversé par une voiture en se rendant à la clinique où ma parturiente de mère se reposait. Nanou habitait toujours cette grande maison pourvue d’un immense jardin dont la longueur devait avoisiner celle d’un terrain de foot sur lequel aurait prospéré des arbres fruitiers (cerisiers et figuiers en tête), un potager, des poules, des orties, de œufs de Pâques, un chêne large comme l’arbre de Totoro, des coins à cachette et, last but not the least, un laurier. Ce dernier détail a son importance car la spécialité de Nanou était le pot-au-feu du samedi. Chaque samedi, du moins chacun de ceux où nous y passions le week-end, elle se levait dès potron-minet pour s’atteler à la préparation du pot-au-feu qui mijotait ensuite toute la matinée. Nous étions réveillés par les senteurs de pommes de terre, de carottes, de navets, de poireaux, de jarret et de laurier. Car, le détail s’explique enfin, la spécialité de Nanou était la sauce au laurier qu’elle préparait et avec laquelle on arrosait goulûment les légumes et la viande quand on ne se contentait pas d’y tremper notre pain. A ce jour, et je pèse mes mots, je n’ai pas souvenir de quelque chose d’aussi bon que cette sauce au laurier ! J’en salive encore rien que d’y penser mais je ne peux qu’y penser car Nanou est morte en 1976 et, à l’insu de son plein gré, elle s’en est allée avec la recette de sa sauce au laurier. Depuis, toutes les tentatives de recréation de la magie se sont heurtées aux limites déjà éprouvées par les alchimistes en quête de la pierre philosophale... Voilà pourquoi, quand vient l’hiver, j’ai des envies de pot-au-feu, de tartines à la moelle d’os grillée, de sauce au laurier qui donne envie de sourire même quand il pleut. |