john ford...

Publié le par jeanphi

Autant je reconnais certaines vertus à l’emploi de taxinomies en matière de musique, a fortiori quand je les trouve inutile dès lors que l’on vient aux goûts de tout un chacun, autant je les trouve vaines en ce qui concerne le cinéma.
Ainsi, parler de musique classique est chose commune, y compris pour ceux qui ne revendiquent aucune culture particulière. Il leur est, tout comme à quiconque, aisé de dire, entendant jusqu’à la musique servant à illustrer une publicité pour une mutuelle, qu’il s’agit de musique classique là où un autre se souviendra avoir entendu la même musique dans le EYES WIDE SHUT de Kubrick. Il y aurait donc la musique classique, et puis tout le reste, le tout venant. De fait, l’adjectif classique est à la musique ce que pour beaucoup le noir et blanc est au cinéma : une certitude à peu de frais – nécessairement trompeuse.
Je vais écourter ici ce qui pourrait m’entraîner trop loin pour illustrer l’idée simple qui m’a toujours habité : il n’y a qu’un seul cinéma, celui des films que l’on a vus. Cela n’exclut en rien tous les autres, mais cela met à l’abri de classifications, à mon sens, stériles.

J’en veux pour preuve le bonheur cinéphilique infini que, hier soir et avant-hier soir, j’ai ressenti en découvrant, dans le désordre, deux films de John Ford que je n’avais jamais vus : SUR LA PISTE DES MOHAWKS [Drums Along The Mohawks] et VERS SA DESTINÉE [Young Mr Lincoln].
Réalisés la même année 1939, dans le désordre, ces deux films seront ensuite suivis d’un autre chef-d’oeuvre, celui-là vu enfant, LES RAISINS DE LA COLÈRE.
Grandeur et génie de John Ford, cet artisan borgne capable, la même année de réaliser de pareils films...
Et pourtant, alors qu’il faudra en Europe attendre quelques années avant de voir des films en couleurs, SUR LA PISTE DES MOHAWKS est tourné en couleurs alors que VERS SA DESTINÉE est en noir et blanc. On peut voir ces deux films, ainsi que JE N’AI PAS TUÉ LINCOLN dans le coffret qu’Opening a sorti et qui est une magnifique occasion de (re)découvrir ses films et, surtout, de bien les comprendre grâce, à chaque fois, à une introduction très dense et accessible par Noel Simsolo puis à des documentaires replaçant chacun des films dans le contexte de l’oeuvre de Ford. On en sort plus intelligent,revigoré.
Tout ça pour dire que je considère chacun de ces deux films comme des classiques en soi, indépendamment de la couleur ou de l’année où ils ont été réalisés. Et c’est comme si je m’obligeais à courir avec un caillou dans ma chaussure juste pour assummer mon postulat initial. En effet, il est très improbable de vouloir apprécier et comprendre ces films si l’on met de côté le contexte de l’époque.
VERS SA DESTINÉE est la réponse sublime de Ford à la montée des périls dans le monde, une apologie tranquille, presque bonhomme de la grandeur du système américain incarné par sa figure mythologique absolue : Abraham Lincoln.

Mais au lieu de montrer l’abolitionniste, la victime que l’on sait, voire le barbu aux favoris statufié depuis, Ford dépeint l’évolution d’un jeune type dégringandé et balourd en un avocat et un politicien prenant confiance en lui en s’enracinant dans les valeurs de justice et d’égalité.
Et il le fait au travers d’une affaire de meurtre dans laquelle le jeune avocat Lincoln accepte, après les avoir sauvé, par la force faussement anodine de ses mots, d’un lynchage, de défendre deux jeunes fermiers injustement accusés.
Lincoln est interprété par Henry Fonda, alors jeune comédien de théâtre acheté par la 20th Century Fox et qui, au fur et à mesure qu’avance le film, personnifie l’image même de Lincoln avec une crédibilité, une nonchalance et une humanité qui sont saisissantes.
Il est intéressant de se rappeler que, trois ans auparavant, Fritz Lang réalisait FURIE, son premier film américain, montrant le procés d’un lynchage dans lequel le personnage de Spencer Tracy qui a échappé, en fait, à ce lynchage, n’a plus qu’une idée en tête : se venger de la ville entière.
Chez Ford, seule prime l’idée de la justice, du respect de la famille brisée par l’affaire, du respect de ces fermiers, de tous ces Américains sans moyens, si fragiles face au système et que la justice, incarnée ici par Lincoln est seule à même de sauver. Pas de vengeance, ni de triomphalisme de la part de Lincoln.
Film de propagande sans en avoir l’air VERS SA DESTINÉE rappelle un autre destin, un autre jeune avocat que la soif de justice poussera aussi à l’action : Ghandi.
SUR LA PISTE DES MOHAWKS est tout autre quoiqu’il s’agisse aussi d’un western.
Mettant à nouveau en scène Henry Fonda qu’il marie à Claudette Colbert, il dépeint, une fois le mariage expédié d’emblée, l’installation puis les viscissitudes de pionniers à la frontière en 1776 dans la vallée Mohawk.
La Frontière, en ce temps-là, n’était qu’à deux cent kilomètres de New-York, mais c’était une autre planète, un univers fait de solidarité et de bons voisinnages, y compris avec les Indiens ; mais un territoire servant aussi, on est alors en pleine guerre d’Indépendance, d’affrontements indirects entre loyalistes (Tories) et indépendantises (Américains).
Les Mohawks du titre sont une tribu d’Iroquois qui, attisés par les Anglais (incarnés par Caldwell, un sinistre type borgne tout comme Ford !), mènent la vie dure aux fermiers, soit en attaquant leurs fermes, soit en les attaquant dans le refuge du fort.C’est un peu, vu sous un autre angle, moins sentimental que chez Fenimore Cooper, l’argument du DERNIER DES MOHICANS.
Mais l’on n’est pas chez Michael Mann et Henry Fonda n’est pas Daniel Day Lewis, même si, lors d’une séquence magnifique, l’on voit son personnage distancer en courant à travers bois et plaines, trois Mohawks qui veulent l’empêcher d’aller chercher de l’aide.
Le film de Ford est une ode à la création des Etats-Unis qui se conclue par l’arrivée de soldats américains en uniforme portant le drapeau aux treize étoiles en cercle. Ce n’est pas encore le temps des guerres indiennes, l’espoir de partager la terre est encore là, comme un rappel de cette Amérique qui panse encore les plaies de la Dépression.
Alors certes, on pourra toujours me rétorquer que ce sont des vieux films qui n’intéressent plus guère que quelques cinéphiles (mais j’en connais au moins deux) et critiques de cinéma, mais je n’en démords pas : il y a plus d’humanité, de sensualité, de vérité et d’essence de cinéma dans chacun de ces deux films que dans la grande partie de ce que l’on nous propose à voir en général.
ps : je viens de voir JE N'AI PAS TUÉ LINCOLN [The Prisonner of Shark Island]. Réalisé en 1935, c'est un des premiers films de la toute jeune Fox, mais c'est aussi le film le plus européen de Ford, son plus expressionniste. Fasciné par Murnau et Lang, Ford joue encore plus davantage sur les ombres et les lignes verticales, animant ses  personnages qui ne sont que des marionnettes entre les mains d'une destinée implacable. En choisissant de filmer la vie de Samuel A. Mudd, un médecin accusé à tort d'avoir comploté contre Lincoln alors que son seul "crime" avait été, par hasard, de soigner J. W. Booth, le véritable assassin, Ford enfourche ses principes les plus ardents : la capacité de rédemption de l'homme juste et l'idéal de la justice ; il dépeint aussi une Amérique qui, quoiqu'ayant mis fin à sa guerre civile, est encore fragile, à l'instar de celle qui vit encore en pleine crise économique. Un chef-d'oeuvre moins flamboyant que les deux autres, mais je suis heureux de ne pas être passé à côté.

Publié dans amènes pellicules...

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J
christian > mouhahahah ! pour Ford, c'est assez probable, quoi que je l'imagine plutôt à cheval ; pour Henry Fonda, j'ai des doutes...
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C
Est-ce que John ford roulait en Ford et Henry Fonda en Honda ?
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