surface de réparation...

Publié le par jeanphi

Les vacances, c’est aussi prendre le temps de lire ce que le reste de l’année je survole. Comme par exemple, la chronique de Patrick Pelloux, cet urgentiste parisien, dans Charlie Hebdo.
J’ai tenu à la recopier parce que la violence dont il se fait l’écho, loin d’être cantonnée et générée, par le foot et ses supporters (il en existe une réelle, dans et autour des stades), est malheureusement une constante de toutes les manifestations d’importance depuis environ deux ans. Souvenez-vous, l’an passé, cette année, de ces fins de manifs de lycéens, d’étudiants, qui dérapaient dans une violence sauvagement organisée à des fins de défoulement et de rapine. En outre, l’ampleur des violences qu’a connu la capitale à l’issue de ce match est passé quasiment inaperçue à la télévision, et je trouve cela très, très inquiétant. Je n’ose imaginer ce que va être la deuxième partie de soirée dimanche soir, que l’équipe de France de football (et non la France) remporte (j’y crois) ou non la finale de la Coupe du monde...


Surface de réparation


Après le match Brésil-France, nous avons vécu avec les pompiers et les services de secours une des nuits les plus dures qu’on ait connues à Paris.
   Tout a commencé avec un carnaval créole salement perturbé par des bandes aux techniques de guérilla urbaine. Ils ont attaqué un supermarché près de l’hôpital, cassé les vitrines des petits commerçants, massacré un policier et un homme qui lui portait secours... La police, totalement débordée, ne pouvait que regarder se développer des espaces de non-droit et de violence. Nous étions en fin de journée, et l’hôpital tournait à plein régime.
   Comme pour tous les matchs annoncés à grands coups de médias, le calme est apparu comme par miracle vers 20 heures. La ville s’endormissait-elle ? Non, elle émettait un bruit de masse à chaque action, comme un souffle rauque, un grognement de “ah !” et de “oh !”. Nous étions bien occupés avec les blessés, dont un est décédé avant son arrivée aux urgences, encore des victimes d’agression. Mais, paradoxalement, les autorités nous demandaient de nous mobiliser pour la canicule alors que nous étions submergés par la violence !
 A la fin du match, ce fut l’explosion. Des bagarres ont immédiatement éclaté à Bastille, Nation, République et Bercy. Les policiers nous ont parlé d’émeutes, les pompiers nous amenaient les victimes par trois ou quatre. “On les ramasse vite, pour éviter qu’elles se refassent taper dessus en attendant les secours”, nos dit un major des pompiers. Un policier nous avoua ne plus rien contrôler entre République et Bastille, faute d’effectifs. Vers 2 heures, on vit arriver les plaies par couteaux, ciseaux, cutter, tournevis...
On n’en avait jamais vu autant en une seule nuit. Les visages peints en bleu-blanc-rouge, les victimes se faisaient dépouiller de leurs biens. Un père de famille a été massacré par une bande devant ses enfants : “Je voulais leur leur montrer la fête, car ils aiment l’équipe de France.” La fête populaire devint alors un affrontement géant, tous les prétextes étaient bons pour la castagne. On a même eu un blessé qui a reçu un coup de hache ! Un autre a crié : “Vive la France !” et s’est fait alors tabasser pour le forcer à hurler le nom d’un autre pays. Dans les yeux des victimes, la violence a changé le tricolore en rouge et noir.
   Sans oublier ceux qui ont redoublé d’exploits : escalader la colonne de Juillet à Bastille ou la statue de la République, complètement ivres. Un autre, avec son beau maillot “Zidane”, s’est empalé dans l’une des pointes d’une grille qui entoure le Génie de la Bastille. C’est passé à un centimètre de son coeur. Une dame âgée tendait son t-shirt à sa fenêtre : ils lui ont tiré sur le bras, lui cassant le poignet. C’était comme une fête orgiaque : plus aucune valeur ne les retenait. Cette jeune femme violée par un petit groupe l’a appris bien malgré elle.
Des Portugais, en maillot, ont voulu jouer un match sur la place de la Bastille. le ballon leur a été volé et ils sont passés du foot aux combats de rue. Les collègues de garde des autres services d’urgences nous ont appelés : voitures incendiées sur les Champs-Elysées, comme ailleurs. A Lille, un type a sorti le fusil et a tiré soixante balles blessant une dizaine de personnes.
Ce qui est en même temps formidable est la mobilisation des services publics hospitaliers, qui ont réagi avec une grande efficacité malgré le peu de moyens. Ils sont l’image de l’organisation solidaire du pays en cas de drame.
   Le plus inquiétant est peut-être que chaque manifestation populaire est désormais l’occasion de violences incroyables, en toute impunité. Pourtant, quelques heures avant le match, le réseau Éducation sans frontières manifestait, pacifiquement pour empêcher le gouvernement de virer hors de France les enfants sans papiers qui sont scolarisés : aucun blessé, ni débordement... Mais peut-être ne regardent-ils pas le foot ?

 

Patrick Pelloux, "Charlie Hebdo" n°733 du 05/07/06

Publié dans c'est pas faux...

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